<h1>Noelfic</h1>

[Confédération][3] Semper et Ubique


Par : Gregor

Genre : Science-Fiction , Action

Status : C'est compliqué

Note :


Chapitre 23

Publié le 15/01/14 à 17:25:42 par Gregor

Un relâchement général s'installa. Siegfried, quoique plus détendu, continuait à afficher le grain fin et perçant d'une politesse naturelle, associée à un charisme et une tenue exemplaire. Guillhem avait vu passé dans son regard de cyborg l'étincelle d'un changement, qu'il n'aurait pas sû définir, mais qui avait remodelé le dessin et la savante sculpture de ses traits, de son attention, et de sa physionomie générale. Le dévisageant longuement, il nota qu'il ressemblait tout à la fois à son père, terrible héros aux traits grossiers mais empreint d'une noblesse sauvage, et à sa mère, femme de délicate apparence qui avait eu le mérite de laisser vivre en lui la possibilité d'une autre existence spirituelle que celle des armées, du pouvoir, et de la violence de ces deux derniers.

Siegfried avait vingt-deux ans à cet instant. Le pouvoir l'avait intronisé à son poste de Très Saint Magister depuis deux ans, et déjà, l'inavouable poids de l'exercice avait retravaillé son apparence. Son front haut, presque bombé, laissait une cartographie en filigrane tailler un réseau de ride à sa surface, et dès qu'il riait ou qu'une expression venait à troubler son calme, ce réseau resurgissait avec toujours plus d'éclat. Les mêmes rides ternissaient le coin de son œil droit, un bleu céruléen qui tirait tout à la fois vers le gris d'une mer d'hiver et l'éclat d'une pierre jaune et étincelante comme une braise figée, et prolongeait le trait naturel de son regard d'un autre trait, comme l'aune de sa concentration, retombant sans sommation sur son attention et son apparence encore juvénile. Son nez échappait à la règle établie, mais pas sa bouche. Ses efforts pour laisser pousser une barbe encore blonde et chatoyante n'avaient rien changé. L'organe de son pouvoir, celui modelait le Verbe et rendait chacune de ses pensées se réaliser lorsqu'il prenait la peine de l'articuler à sa parole, cet organe se flétrissait à ses commissure, tandis que l'habile teinture qui délicatement le rendait plus mature se chargeait d'une masse de plus en plus conséquente de poils grisonnant, piquetant l'ensemble d'une moucheture et d'une hermine noble mais irréversible.

Guillhem se demanda longtemps comment un être aussi jeune avait pu voir le poids des années se poser si violemment sur lui sans qu'il n'y change rien. Il se souvint de quelques bribes de conversations remontant à sa vie d'avant, dans une soirée quelconque, où il avait apprit que le Très Saint Magister souffrait de diverses maladies dégénératives, et que même les meilleurs thérapies géniques disponibles ne pouvaient pas toutes le soigner. Une rumeur qui en fondait une autre, celle du désir d'enfantement de Siegfried, tandis qu'il avait été courtisé par toute la gente féminine de la Confédération, et dont on affirmait qu'elle se terminerait très prochainement en un mariage somptueux.
Mais en cet instant, seul un peu de détente et une complicité rare entre le maître de la Confédération et son tuteur revenant de mission animait le hall, déserté, laissant pour seul témoin Guillhem et son étonnement.

— Flinn, je suis très heureux de te revoir enfin … Tu n'imagines pas tout ce qu'il s'est passé ici pendant ton absence.
— Alors même sans moi, tu continues à ne pas t'ennuyer ? Dois-je prendre ceci comme un compliment ?
— Méfie toi, je pourrais bien avoir l'envie de te nommer à un poste ne nécessitant plus que tu partes aussi loin.
— Tu oserais ?
— Parfaitement.

Et les deux individus se mirent à rire bruyamment. Guillhem restait à l'écart, continuant à détailler avec moins de scrupules son maître. Son visage, aussi gracieux et fatigué fut-il, ne tranchait pas avec la préciosité de ses atours. Siegfried était un cyborg, et son corps avaient été doré à l'or fin, donnant à celui-ci l'apparence d'une armure. Ceint d'une cape noire simple, et portant le holster d'un sabre ionique de cérémonie, il apparaissait à part, moins massif et presque moins solennel que Flinn. Guillhem s'étonnait de trouver l'homme si simple, presque accessible, et aurait volontiers aimer se joindre à la plaisanterie qu'il entretenait avec le Naneyë, mais il savait qu'il ne le pouvait pas, et que jamais son sauveur n'aurait permis un tel comportement. Flinn avait presque éduqué Siegfried, il l'avait vu grandir, et ne gardait ici que les reliques d'un rapport plus amical, presque familial, que l'accession au trône du jeune homme n'avait pas pu changer.

— Trent m'a envoyé son rapport. Barnard Prime a passablement souffert de la rébellion.
— J'imagine qu'il a quelques peu négligé de parler du bombardement qu'il a opéré sur Port-Krisitian ?
— J'aurais été surpris que tu ne le soulignes pas. Sur ce coup tactique, il n'a pas manqué de culot... Mais ça ne le sauvera pas du placard.
— A cause de l'affaire de la captive ?
— Non, ajouta Siegfried d'une voix plus sombre. Il prend un peu trop de place depuis quelques temps. Il rêvait d'un triomphe à la romaine, et en reprenant Prime, il vient de se l'offrir sur un plateau. Malheureusement pour lui, il y a une kyrielle de jeunes et brillants officiers qui attendent leur tour au portillon pour commander un aussi puissant vaisseau que l’Ankara.
— A son âge, cela devient dangereux d'avoir trop ambitionnions, répliqua avec un sourire féroce Flinn.
— Je n'en pense pas moins.
— Alors tu le laisseras parader sur Civimundi ?
— Si cela peut calmer ses ardeurs...

Flinn laissa passer un court instant avant de répondre.

— Je ne reconnais pas là ton mordant habituel, Siegfried. Avec tout le respect que je te dois, je pense que tu commets une erreur stratégique...
— J'aimerais bien te dire que tu as tord, hélas, il y a bien un peu de vérité là dedans.

Flinn s'assit sur l'un des fauteuils disposés près de la fenêtre, imité par Siegfried et Guillhem quelques instants plus tard.

— Siegfried, que s'est-il passé pendant que nous étions sur Prime ?

Le Magister fixa le sol, puis ses interlocuteurs, et dans un semblant de soupir, reprit.

— La succession du Très Saint Magister Oddarick est loin de se passer aussi calmement que prévu. La Sainte Cléricature m'a fait savoir par voix officielle qu'elle attendait plus de fermeté de la part du pouvoir central vis à vis des derniers événements sur les colonies terrestres. Naturellement, c'est une fin de non recevoir vis à vis des dernières réformes que j'ai voulu lancer... Un jeu honnête, en somme. Mais un jeu qui vient contrarier mes plans. La Sainte Cléricature commence à émettre quelques réserves vis à vis de mes choix et de mes décisions récentes, et même si elle vieillit et que ses membres sont de plus en plus souvent cantonnés à des missions pour la forme, je ne peux pas négliger son influence.

— Et Gregor ? Il n'en dit rien ?
— Il aimerait bien trouver une solution pour me sortir de cette situation. Mais il fait ce qu'il peut pour ménager la Sainte Cléricature sans non plus contrarier les projets que j'aimerais mettre en place.

Flinn hocha la tête.

— Je constate qu'il est absent...
— Trop de travail. D'ailleurs, il me fait transmettre ses félicitations pour la mission.
— Il aurait pu prendre la peine de venir, railla Flinn. Je sais que nous sommes tous occupés, mais pour son ancien apprenti... Six mois que je ne l'ai pas revu. Un record.
— Il est débordé, Flinn.
— Je sais, je sais...

Un silence pesant s'insinua dans le hall. Flinn fixait l'extérieur, tandis que Siegfried, plongé dans ses pensées, se demandait comment allait se finir cet accrochage avec l'Inquisition. Guillhem, seul, laissait vagabonder son esprit sans but particulier.

— Et pour mes hommes ?

Flinn n'avait pris aucune précaution. La question désarçonna Siegfried, qui hasarda une réponse.

— Et bien … Je ne sais pas trop. L'objectif que je t'avais assigné a été parfaitement rempli, mais je ne peux pas les rendre plus héroïques que Trent et ses hommes si je veux l'évincer de son poste en douceur... Ils seront financièrement récompensés comme il se doit, et je leur ouvrirai quelques opportunités pour qu'ils grimpent dans la hiérarchie. Ça, et une grosse permission de … Disons trois à six mois ? Je ne pourrais faire plus.
— Je comprends, nota Flinn.
— Et ce jeune homme ? Je vois qu'il nous écoute depuis tout à l'heure, mais je n'ai pas eu le plaisir d'être présenté.

Guillhem eut l'impression que le sol se dérobait sous pieds. Malhabile, il se leva, avant de poser un genoux à terre.

— Adjudant Guillhem de Choire, Très Saint Magister.

Siegfried eut un sourire poli à son adresse.

— Le fils ainé du général de Choire... Relève toi. Je suis sincèrement désolé pour vos parents, adjudant. Soyez sûr que la Confédération aura porté le deuil de leur disparition.

— J'en suis touché, Très Saint Magister.
— Je suppose que vous l'avez appris en arrivant sur Terre ?
— Oui, Très Saint Magister.
— Notre rencontre est donc un peu fortuite... Je comprendrais que vous n'ayez pas l'esprit très disponible pour parler plus longuement avec moi, mais avant de vous accorder le repos que vous méritez, j'aimerais régler quelques menus détails avec vous.

Siegfried se leva.

— Adjudant, à genoux.

Guillhem s’exécuta sans broncher.

— Guillhem de Choire, fils d'Alfred de Choire, soit élevé au titre de baron de Haute-Septimanie, de Mazamet et de Camarès, pour les services rendus à la Confédération par ta personne et celle de ton père. Puisses-tu te montrer méritant de cette titulature.
— Je servirais la Confédération dans la force et dans l'honneur. Vous, Très Saint Magister Siegfried, êtes mon maître, et je suis votre fidèle serviteur.
Siegfried invita Guillhem à se relever.
— Je suis bien désolé de cette mise en scène en pareil deuil, adjudant, mais il aurait été discourtois et insultant pour la mémoire de votre père que je ne me charge pas moi-même de cette élévation. D'autres part, j'ai reçu le rapport du Commandant Flinn ici présent, et j'ai été stupéfait par l'aventure de votre sauvetage. C'est une bien étrange situation que vous avez vécu sur Prime... Une étrange situation qui nous révèle de précieux dons. Les cybernautes se sont attachés à ce rapport dès que je leur ai remis, et j'espère, adjudant, que nous trouverons bien vite la réponse au mystère de ces dons. Naturellement, il serait regrettable que vous ne puissiez exprimer tout le talent qui germe en vous, et suite aux conseils avisés du Commandant Flinn, j'estime nécessaire de vous placer sous sa tutelle pour vous former en temps que Noble Clerc.

L'annonce secoua Guillhem, à nouveau. Le Magister venait quelques minutes auparavant de mettre l'Inquisition au même rang qu'une institution tatillonne qui gênait son pouvoir, mais n'avait pas hésité un seul instant à le nommer apprenti. Il n'osa pas le questionner sur le sujet, par impolitesse, et inclina docilement la tête.

— J'ai toute confiance en son jugement pour qu'il fasse de vous un de nos plus brillants éléments, adjudant.
— C'est trop d'honneur, Très Saint Magister.
— Attendez donc avant de me remercier.

Flinn haussa un sourcil, curieux.

— J'imagine que tu ne comptes pas nous laisser moisir trop longtemps à Civimundi.
— Non, en effet, Flinn. Après le remarquable travail que tu as effectué sur Prime, j'aimerais te confier une tâche de représentation plus en vue.
— Et quel type de mission ?

Siegfried sourit.

— Le type de mission qui va t'expédier vers les étoiles d'ici quelques mois. Mais avant ça … Tu vas prendre un peu de repos. Et tu vas t'occuper de ta nouvelle recrue.

Flinn sourit à son tour.

— Te voilà très prévenant tout à coup.
— Je préfère que mes proches alliés soient en forme.
— Alors j'en déduis que nous restons à Civimundi pour le moment ?
— Oui, Flinn. Car hélas, il est probable que je te fasse revenir très prochainement.
— Et je ne peux pas savoir quel genre de mission...

Siegfried sourit, coupant cours aux tergiversations de Flinn.

— Ainsi en a dit le Très Saint Magister. Il est tard, et tout le monde y gagnera à se retirer.
Flinn s'inclina avec subtilité, imité par Guillhem, tandis que Siegfried se retirait sans un mot, laissant le maître et son élève, seuls.

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